On me répondra rapidement qu'il y a chanson et Chanson. Qu'il ne faut pas mélanger les torchons de certains avec les serviettes de Monsieur Brel et Madame Barbara, par exemple. Tout comme il y a cinéma et Cinéma, répondrai-je, ou peinture et Peinture, théâtre et Théâtre. Les croquis de Poulbots de la Place Montmartre n'empêchent pas la peinture de Monet d'être classifiée Art majeur, comme les pièces de boulevard n'empêchent pas le théâtre de Racine d'être classé monument historique.
En fait, cette hiérarchie des genres me semble un héritage arbitraire et obsolète. Offre-t-elle un intérêt ? A quoi sert cette course aux titres, sinon à masquer la réalité: les activités artistiques, quelles qu'elles soient, ne visent que le divertissement de ceux qui s'y intéressent.
Ainsi Pascal Du Sapin, avec sa musique contemporaine atonale et arythmique, ne fait qu'un travail de divertissement comparable à celui d'un chanteur de variété. La différence vient du public: Du Sapin s'adresse à un public restreint, ayant une grande connaissance des productions musicales classiques antérieures, avide de nouveautés conceptuelles, de sensations sobres et… de distinction. Tandis que le chanteur de variété s'adresse à un large public, moins expert, moins exigeant au niveau conceptuel et ne reculant pas devant les émotions simples. Mais les deux publics recherchent une distraction, un divertissement.
De plus, le public de Du Sapin contient probablement des gens qui écoutent également des chansons, alors que les fans du chanteur de variété ignorent probablement l'existence du compositeur. Donc, plutôt que de chercher la flatterie d'un titre d'art mineur ou majeur, la chanson peut s'enorgueillir d'être un divertissement comme les autres, comme le théâtre de Racine, la peinture de Cézanne, les romans de Balzac. Et puisqu'elle s'adresse à un large public, puisqu'elle touche toutes les classes de la société, elle peut sans regret abandonner ce titre d'art mineur pour celui de Divertissement Majeur.